Retourner au bulletin Mars 2016
Bob Wildfong
Je me souviens de ma première expérience avec des semences vivaces dormantes. J’avais acheté un sachet de quelques petits pois vivaces, et je les avais plantés le long d'une clôture au printemps en même temps que mes petits pois comestibles. Les pois de senteur sont un parent des pois réguliers, mais ils ne sont pas comestibles et ils se déclinent en deux types: annuels (Lathyrus odoratus) et vivaces (Lathyrus latifolius). Les petits pois annuels sont célèbres pour leur parfum, mais ils ne survivent que pour la saison chaude. Les pois de senteur vivaces sont, quant à eux, peu odorant mais ils vivent à peu près éternellement et font une belle vigne de fleurs agréable à regarder sur une clôture.
Cet été là, mes petits pois réguliers de jardin ont poussé, les petits pois annuels de mon ami l’ont fait aussi mais mes petits pois vivaces n’ont pas pointés leur nez. Pas un seul. Donc, j’ai fait ce que toute personne normale fait: j’ai renoncé à eux et j’ai planté quelque chose d'autre à la place. Un an plus tard, j’ai remarqué au bord de ma clôture quelques pousses bien alignées. Bien sûr, je ne me souvenais pas avoir semé les pois de senteur, mais j’ai vite compris ce qui était arrivé.
Les semences de vivaces, comme mes petits pois, ont besoin d'une sorte de signal de sécurité pour savoir quand l'hiver est terminé. Si elles germeraient tout de suite à l'automne, les jeunes plantules encore tendres souffriraient trop de l’hiver: ils doivent donc attendre le printemps. La plupart du temps, ils le font en plongeant dans un sommeil profond (appelé dormance) qui est rompu seulement par la congélation et la décongélation. Comme mes semences avaient été entreposées à l'intérieur (dans un magasin, probablement dans un entrepôt quelque part, et par la suite dans ma maison), elles n’avaient jamais ressenti le froid de l'hiver. Sans congélation et décongélation pour briser leur dormance, elles se croyaient encore à l'automne, donc elles ont attendues sous terre pendant une année entière jusqu'à ce qu'un autre hiver ait passé avant de germer!
Alors pourquoi les annuelles n’ont-elles pas besoin d'un traitement par le froid pour stimuler la germination? La raison est très simple: la plupart des plantes de jardin que nous cultivons comme des annuelles (comme les tomates, par exemple) sont en fait des plantes vivaces ailleurs dans le monde où il ne gèle pas vraiment en hiver. Les plantes tropicales comme les haricots, les poivrons, les pétunias, les impatientes ne nécessitent pas un interrupteur de sécurité pour leur dire quand l'hiver est passé, de sorte qu'ils sont pour la plupart capables de germer tout de suite, sans traitement spécial. Seules les plantes qui sont originaires de latitudes plus froides ont besoin que leurs graines brisent leur dormance hivernale, et ainsi, bon nombre de ces plantes survivent naturellement à des hivers froids et nous les percevons donc comme des vivaces.
Voilà pourquoi beaucoup de nos plantes vivaces de jardin, des fleurs sauvages et d’arbres indigènes sont difficiles à faire pousser à partir de graines. Essentiellement, tout ce que vous avez à faire est de simuler les conditions d'hiver, de sorte que les graines se croient au printemps et se «réveillent». Le terme technique est « stratification » mais vous pouvez aussi l'appeler « refroidissement », ou "rupture de dormance". De nombreuses entreprises de semences pré-stratifient leurs semences vivaces, mais pas toutes, et vos propre semences récoltées à la maison auront certainement besoin de ce traitement.
La méthode la plus courante pour la stratification est d'humidifier les semences puis de les réfrigérer pendant quelques semaines. Certains jardiniers disent que de simplement mettre les graines sèches dans un réfrigérateur pendant 2-3 semaines fonctionne aussi, mais les graines sèches ne briseront normalement pas leur dormance quand vous les refroidissez : c’est en fait la technique que nous utilisons pour entreposer les semences dans les banques de semences (sèches et froides), pour les garder en sommeil pendant une longue période.
Tout d'abord, faites tremper les semences à la température ambiante pendant une journée complète afin de vous assurer que même les graines les plus coriaces absorberont l'humidité à travers leurs téguments. Ensuite, faites l'une des deux choses suivante:
1) Placez les semences trempées dans un sac en plastique rempli d’un bon mélange de terreau et gardez-le dans un réfrigérateur pendant plusieurs semaines. La durée exacte dépend de l'espèce, mais comptez environ un mois pour obtenir de bons résultats.
2) Semez les semences dans des récipients de jardin et mettez-les à l'extérieur vers la fin de l'hiver ou au début du printemps, où ils pourront faire l'expérience d'un mois de températures proches du point de congélation / décongélation. Le mois de mars ou d’avril est généralement le moment idéal.
Lorsque les semences auront vécues l'hiver (intérieur ou extérieur), vous n’avez qu’à les cultiver comme vous le feriez avec des semences normales!
Ne pas mettre des semences humides dans le congélateur!
Considérant que le traitement des semences décrit dans la méthode numéro 2 ci-dessus (dehors, un mois en plein air) implique parfois un gel de nuit, vous pourriez penser qu'il serait correct de simplement mettre vos semences humides au congélateur. En fait, il y a une grande différence entre un pot de terre gelant à l'extérieur et la température de votre congélateur domestique. Alors que les températures tombent durant la nuit à l'extérieur, le sol gèle très lentement, peu à peu, et provoque des dommages minimes aux graines dans le sol. Cependant, plonger une semence humide dans un congélateur sous zéro causera un gel immédiat, déchirant les petits tissus cellulaires et réduisant en bouillie la vie à l’intérieur de vos semences.
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Bob Wildfong est le directeur exécutif des Semences du patrimoine Canada
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